Le transfert de votre cabinet dentaire ou de votre patrimoine d’entreprise nécessite prévoyance et planification rigoureuse. Une approche à long terme est essentielle, surtout lorsqu’on envisage des stratégies avancées comme le gel successoral. Cette technique permet de limiter l’impôt, de préserver les acquis familiaux et de faciliter la transition de l’entreprise vers la génération suivante.
Cet article explique ce qu’est un gel successoral, en quoi il est pertinent pour les professionnels dentaires et comment il s’applique concrètement. Il s’appuie sur les réflexions d’experts fiscaux et juridiques lors des panels Naviguer à travers le décès et les impôts, organisés par le CDSPI durant les congrès dentaires tenus à travers le Canada en 2025.
Qu’est-ce qu’un gel successoral?
Le gel successoral est une stratégie permettant de bloquer la valeur actuelle d’une entreprise ou d’un placement afin que toute la croissance future bénéficie à une autre entité, comme des enfants, une fiducie ou une société de portefeuille créée pour vos héritiers. Jordan Weinberg, associé et conseiller chez MNP, explique : « Vous convertissez vos actions ordinaires actuelles en actions privilégiées à valeur fixe, puis vous émettez de nouvelles actions ordinaires à vos enfants ou à une fiducie en leur faveur. Ces nouvelles actions ne valent presque rien au départ, mais elles capteront toute la croissance future. »
Le principal avantage est que vous limitez l’impôt futur : vous n’êtes plus personnellement imposé sur la croissance qui suit le gel. Le gel successoral permet ainsi de planifier un transfert intergénérationnel sans déclencher d’impôt immédiat sur les actifs gelés.
Le bon moment est crucial
L’une des erreurs les plus fréquentes chez les dentistes consiste à attendre trop longtemps avant de procéder au gel de leur cabinet. Si la valeur de celui-ci augmente de façon significative avant que le gel ne soit mis en place, vous risquez de dépasser votre limite d’exonération cumulative des gains en capital (ECGC) et de faire face à une facture fiscale plus élevée lors de la vente.
Comme l’explique Jordan Weinberg : « On ne peut pas revenir en arrière. Si la valeur de votre cabinet passe de 1 million $ à 3 millions $ et qu’aucun gel n’a été effectué, les 2 millions $ de croissance pourraient devenir imposables au moment de la vente. » En agissant tôt — avant une forte croissance ou une vente éventuelle —, vous maximisez les chances de protéger ou de transférer de façon fiscalement avantageuse une plus grande portion de la valeur future.
Pourquoi est-ce important pour les dentistes?
Pour les dentistes à la tête d’un cabinet prospère ou détenant des actifs de placement importants, le gel successoral permet de préserver l’exonération à vie des gains en capital (ECGC) et de s’assurer que la plus-value future bénéficie à la famille plutôt qu’au fisc.
Jordan Weinberg précise : « En procédant correctement, vous pourriez vendre votre cabinet pour 4 millions $ et ne payer aucun impôt sur les premiers 1,25 million $, à condition que les actions soient admissibles à l’exonération. »
Il ajoute qu’une planification adéquate, impliquant par exemple plusieurs membres de la famille ou des fiducies, peut permettre de multiplier l’exonération entre différents bénéficiaires.
Le gel successoral en quatre étapes
Voici une version simplifiée des étapes typiques d’un gel successoral :
Évaluation
Une évaluation à la juste valeur marchande de votre cabinet ou de votre société est effectuée.
Réorganisation des actions
Vous convertissez vos actions ordinaires actuelles en actions privilégiées à valeur fixe, ce qui vous permet de bloquer vos actifs à la valeur actuelle.
Émission de nouvelles actions ordinaires
De nouvelles actions ordinaires (qui n’ont pratiquement aucune valeur aujourd’hui) sont émises au nom de vos enfants ou d’une fiducie à leur profit. La valeur de ces actions augmentera avec le temps.
Coordination avec la planification successorale
Le gel est souvent associé à une convention d’actionnaires, à des documents fiduciaires et à d’autres outils de planification successorale afin de définir comment ces nouvelles actions pourront être vendues ou transférées.
Exemple concret : transmission d’un cabinet dentaire
Lors du panel, l’exemple d’une dentiste prête à céder son cabinet à ses enfants adultes a été utilisé. Le cabinet, toujours actif, comprenait un fonds de commerce et des biens immobiliers.
Jordan a présenté une séquence type : « Nous figeons la valeur actuelle. La dentiste détient alors des actions privilégiées à valeur fixe, tandis que ses enfants obtiennent les actions ordinaires par l’entremise d’une fiducie familiale. C’est cette fiducie qui profitera désormais de toute la plus-value générée par le cabinet ou le portefeuille d’investissement. » Il a précisé que cette stratégie permettait de reporter l’impôt, de protéger la croissance future et de maintenir le contrôle sur la transition. Il a aussi souligné qu’une telle structure ouvrait la possibilité de bénéficier de l’exonération des gains en capital lors d’une éventuelle vente.
Flexibilité ou irréversibilité
Le contrôle demeure un élément essentiel à prendre en compte. Une fois la valeur de vos actions privilégiées gelée, celle-ci devient fixe. Toutefois, vous conservez une certaine marge de manœuvre dans des domaines clés, notamment :
percevoir des dividendes sur les actions privilégiées ;
conserver les droits de vote avec une structure à deux catégories d’actions ;
répartir la croissance future via une fiducie discrétionnaire familiale.
Les experts ont rappelé que le gel est une restructuration durable. Comme l’a dit Raphael Tachie : « Il s’agit d’un changement permanent. Il ne faut pas se précipiter. Il est essentiel d’être bien accompagné juridiquement, fiscalement et financièrement pour évaluer les implications. »
Que se passe-t-il en cas de décès?
Au moment du décès, les actions privilégiées détenues dans le cadre d’un gel successoral sont réputées avoir été cédées à leur juste valeur marchande, ce qui peut entraîner des impôts sur les gains en capital. Cependant, si ces actions sont admissibles, votre succession peut réclamer l’ECGC et ainsi réduire — voire éliminer — l’impôt à payer.
Si les actions sont transmises à un conjoint, la succession peut demander un roulement au conjoint, ce qui permet de reporter l’impôt jusqu’à son décès. Comme l’a expliqué Jordan Weinberg : « Si tout est légué au conjoint, aucun impôt n’est déclenché au moment du décès, mais si les actions sont léguées directement aux enfants, la disposition réputée s’applique immédiatement — à moins d’avoir mis en place une structure adéquate. »
Raphael a résumé l’esprit du gel successoral ainsi : « Pour être franc, l’idéal serait de mourir comme on est venu au monde : sans rien posséder. Le gel successoral est un moyen d’y parvenir. Vous figez la valeur de votre patrimoine aujourd’hui et toute la croissance future est transférée à vos héritiers. »
Le rôle d’une fiducie ou d’une société de portefeuille
Les gels sont encore plus efficaces lorsqu’ils sont combinés à une fiducie familiale ou à une société de portefeuille. La fiducie permet de répartir les revenus, et la société de portefeuille sépare les actifs du cabinet de ceux liés aux placements ou à l’assurance.
Il est toutefois essentiel que les dentistes tiennent compte des restrictions réglementaires propres à leur province. Comme l’a illustré Jordan : « En Ontario, le Collège royal des chirurgiens dentistes n’autorise pas qu’une fiducie détienne des actions dans votre société professionnelle. Ainsi, il n’est généralement pas possible d’effectuer un gel avec une fiducie tant que vous pratiquez. Vous devrez plutôt geler la valeur et la transférer vers une société de portefeuille ou une fiducie personnelle une fois que vous aurez cessé vos activités. »
Quels sont les risques?
Le gel successoral n’est pas sans pièges :
- conflits d’évaluation avec l’ARC si la valeur est sous-estimée ;
- tensions familiales autour de la fiducie ou des actions ;
- vulnérabilité en cas de divorce ou de créance si le cadre légal est mal établi.
Raphael a souligné qu’un gel successoral dans une famille recomposée peut soulever plusieurs complications délicates. Il a insisté sur l’importance cruciale de bien définir « qui reçoit quoi et à quelles conditions ». Les fiducies et les conventions d’actionnaires doivent prévoir avec clarté le traitement des actions en cas de divorce, de remariage ou d’invalidité.
Échéancier, collaboration et vision à long terme
Votre conseiller financier joue un rôle central lorsque vous envisagez un gel successoral. Il vous aide à choisir le bon moment et veille à ce que cette stratégie s’intègre harmonieusement à vos objectifs financiers globaux. Lors du panel, Shane Dewling, conseiller en planification des placements pour le CDSPI Services consultatifs Inc., a souligné : « Le conseiller financier est souvent le premier à détecter que la société d’un client a atteint un point où un gel devient pertinent. »
Il a expliqué qu’un conseiller peut vous aider à évaluer la valeur actuelle de votre entreprise et sa trajectoire de croissance, afin de déterminer si un gel permettrait de réduire l’impôt à payer au décès. Le conseiller travaille aussi en collaboration avec votre comptable fiscaliste et votre avocat spécialisé en droit successoral pour mettre en œuvre le gel de manière à préserver votre ECGC tout en tenant compte de vos priorités financières.
Après le gel, votre conseiller vous accompagnera dans la mise en place de stratégies de trésorerie pour les actions privilégiées, vous assurant ainsi un revenu de retraite durable provenant de votre société. Il pourra aussi soutenir vos héritiers ou les bénéficiaires de votre fiducie dans la gestion du capital, en mettant en place des stratégies de placements, en planifiant les distributions ou encore en intégrant une assurance vie pour assurer la liquidité nécessaire.
En impliquant votre conseiller dès le début, vous vous assurez que votre gel successoral ne se limite pas à un simple allègement fiscal : il s’inscrit dans une vision globale de votre retraite, de votre sécurité financière et de la transmission de votre patrimoine. Comme le rappelle Shane Dewling : « Ce n’est pas seulement une façon d’économiser de l’impôt, c’est une manière de planifier intelligemment pour l’avenir. Notre rôle est de faire en sorte que votre plan fonctionne, non seulement en théorie, mais aussi en pratique. »
En conclusion : devriez-vous envisager un gel successoral?
Si vous êtes propriétaire d’un cabinet dentaire, si vous détenez des placements importants dans des sociétés ou si vous souhaitez transmettre votre patrimoine de manière fiscalement avantageuse, le gel successoral est une option qui mérite d’être examinée. Cette stratégie ne vise pas uniquement à optimiser la fiscalité. Elle peut également vous aider à structurer la transmission de vos actifs, à concrétiser votre plan de succession et à offrir une plus grande tranquillité d’esprit à vos proches et à vous.
Comme l’ont rappelé les intervenants lors des discussions, le gel successoral est une démarche qui nécessite un encadrement professionnel. Pour qu’elle soit réellement efficace et adaptée à votre situation, il est essentiel de faire appel à une équipe de conseillers chevronnés : comptable, avocat fiscaliste et conseiller financier.
Prochaines étapes
Prenez rendez-vous avec un conseiller financier pour évaluer si un gel successoral convient à votre situation, surtout si vous approchez de la retraite ou si vous envisagez d’intégrer vos enfants adultes dans votre entreprise ou vos placements corporatifs. Plus tôt vous entamez le processus, plus vous disposerez de souplesse pour protéger la valeur accumulée au fil des ans.
Cet article est offert à des fins informatives seulement et ne constitue pas un conseil fiscal, juridique ou financier. Bien que nous fassions tout notre possible pour fournir des renseignements exacts et à jour, nous ne pouvons en garantir l’exhaustivité ni la pertinence pour votre situation. Nous vous recommandons de consulter des professionnels qualifiés en fiscalité, en droit ou en finances pour obtenir des conseils adaptés à vos besoins.